Toujours prompts à railler et dénoncer les passations de pouvoir qui, dans l’histoire du capitalisme familial en général et en France en particulier, se jouent le plus souvent de père en fils, les médias se sont montrés élogieux au regard de celle intervenue en ce début d’année, à la tête du groupe Sodexo. Il faut dire qu’ils auraient eu mauvaise grâce et fait preuve d’une coupable subjectivité, si en l’espèce, il en avait été autrement. Chez le leader mondial de la restauration collective, le processus pour aboutir au « Choix de Sophie » (Bellon) qui a succédé à son père Pierre, le 26 janvier dernier, paraît bel et bien irréprochable. Il est même en tout point exemplaire.
Le choix de la fille aînée entre les quatre enfants du patriarche, fondateur voilà tout juste un demi siècle (1966) d’une modeste PME en Paca, devenue le 20e employeur dans le monde, n’est en rien le fait du Prince. Au contraire ! Pierre Bellon s’est interdit d’y prendre part quand, voilà trois ans et demi à l’été 2012, alors âgé de 82 ans, il a réuni ses quatre enfants autour d’une table pour leur annoncer sa décision de passer la main à l’un d’entre eux. Rien de surprenant en soi, vu l’âge du capitaine, la décision avait néanmoins quelque chose d’inattendue pour ses enfants.
Car, si trois d’entre eux ont très tôt fait armes, classes et apprentissage au sein du groupe et aspiraient au fond d’eux-mêmes à succéder à leur père, à aucun moment il ne leur a été donné une bonne raison de croire que la volonté de celui-ci en serait ainsi. Ils avaient même tout lieu d’imaginer le contraire. En effet, combien de fois se sont-ils entendu dire qu’ « il ne faut jamais confondre arbre généalogique et organigramme ». D’ailleurs, c’est à se demander si ce n’est pas le leur faire bien comprendre, qu’en 2005 Pierre, alors âgé de 75 ans, a confié la direction générale du groupe à Michel Landel, trente-deux ans de carrière dans le groupe, un homme de confiance, d’expérience et fidèle.
Pour beaucoup d’observateurs de l’époque, la messe a paru être dite : Pierre Bellon s’était trouvé son dauphin, en la personne de Michel Landel. D’autant que depuis, ce dernier a fait merveille aux commandes du groupe, doublant le chiffre d’affaires, maîtrisant drastiquement les coûts, et diversifiant et féminisant l’équipe dirigeante, comme le constate le magazine L’Obs dans son édition du 21-27 janvier 2016 dans une belle enquête reportage. Mais le choix de Pierre n’était en réalité pas définitif.
En plaçant en apparence Michel Landel en position de dauphin, Pierre Bellon a habilement temporisé pour permettre à ses enfants d’acquérir sans précipitation toute l’expérience et la connaissance nécessaires pour devenir légitime au sein du groupe. Pierre Bellon a aussi, par la même occasion, mis son groupe à l’abri de l’imprévu et du risque d’une disparition brutale de son fondateur.
Et pour finir, l’intelligence de ce grand capitaine d’industrie reconnu et respecté de tous, à commencer par ses pairs, aura été de confier à un collège de quatre sages, composé des présidents des comités d’audit et des nominations de son groupe, mais aussi de Michel Landel et d’une personnalité extérieure, faisant aussi pour lui autorité d’ami, le soin d’identifier parmi ses quatre enfants le meilleur successeur. Ce processus de sélection étalé sur plusieurs mois a conduit, au terme d’une longue série d’entretiens en tête à tête, de réunions et de validation de critères clés et définis avec rigueur, au choix que l’on connaît aujourd’hui. Il vient de se mettre en place en ce début d’année. Il est remarqué, salué et constitue aujourd’hui un exemple à méditer au sein de toutes les entreprises familiales cotées à la Bourse de Paris. Mais pas seulement !
Il est un modèle de best practices pour la gouvernance de toute entreprise, qu’elle soit cotée ou non, issue d’une histoire entrepreneuriale privée ou publique. Il est référent pour tous les acteurs militants de la bonne gouvernance et apôtres des best practices auprès des entreprises françaises cotées à la Bourse de Paris, comme nous aspirons à l’être au sein de Board Strategic Consulting and Surveys. Et il serait bien qu’il soit inspirant pour ceux qui, comme le groupe de travail permanent et commun, l’Association française des entreprises privées (Afep) et le Mouvement des entreprises de France (Medef), cherchent à édicter des recommandations de Place à suivre, sinon des règles et des standards du gouvernement d’entreprise pour faire autorité, voire loi.
Bruno Segré brunosegre@bscs.fr